La ville de Nabeul possède une tradition unique en Tunisie : celle des figurines en sucre qu’on offre pour la fête de Ras el-Am. Une tradition qu’on retrouve de l’autre côté de la Méditerranée…
Chaque année, à
Nabeul, la ville et les marchés s’égaient de mille couleurs à la veille de la
fête de Ras el-Am, le jour de l’An du calendrier musulman.
Sur les étals, on trouve toutes sortes de petites figurines en sucre coloré. Avant d’être cassées et dégustées, elles trôneront dans les maisons, accompagnées de friandises et de fruits secs, dans de hautes coupes en céramique appelées “methred”.
Le plus souvent, l’usage veut qu’on offre une grande poupée aux filles et un coq aux garçons.
Ces figurines font plaisir aux enfants ; on les offrait aussi autrefois à la famille d’une fiancée.
Mais cette tradition ressemble beaucoup à celle qu’on rencontre de l’autre côté de la Méditerranée, dans la Sicile toute proche.
La Fête des Morts sicilienne
En Sicile, en effet, ces figurines sont une coutume qui accompagne la Fête des Morts. Une fête pas si triste qu’on pourrait le croire, puisqu’après la visite aux tombes des défunts elle devient la fête des enfants…
Le descendant d’une vieille famille aristocratique de Palerme a décrit ainsi cette fête qui égayait son enfance, au tout début du 20ème siècle :
« Le 2 novembre, un vaste rassemblement populaire, qui servait de prétexte à une activité artisanale frénétique, se déployait sous les jardins du Palais royal, face à la Villa d’Orléans. C’est là que se tenait la Foire des Morts. On avait l’habitude, après la visite aux cimetières, de s’y retrouver en famille, et nous ne faisions pas exception. La tradition voulait qu’on y achetât toutes sortes d’objets destinés aux enfants…
« On avait le choix entre d’étonnantes statuettes, les “pupaccene”, qui étaient à la fois bibelots et confiseries. Elles étaient faites de sucre sculpté et très coloré. Les “pupaccene” existaient sous plusieurs formes, tantôt d’inspiration ancienne – chevaliers en sucre, paladins et gentes dames –, tantôt plus actuelles – marins, cow-boys, couples de mariés (l’époux en frac, l’épouse en voile blanc). »
(Edmonde Charles-Roux d’après Fulco di Verdura, “Une Enfance sicilienne”)
A
Nabeul, pourtant, ni chevaliers ni cow-boys. Les poupées représentent plutôt des “
mariées” ou des
animaux – qui ne sont pas sans rappeler les figurines en argile modelées par
les potières du village de Sejnane…
Métamorphoses d’une tradition
Nabeul est la capitale du
Cap Bon, la région tunisienne la plus proche de la Sicile. De nombreux
Siciliens y vivaient autrefois ; beaucoup d’autres venaient seulement pêcher le long de ses côtes.
Rien d’étonnant à ce que des coutumes aient traversé le détroit qui sépare ces deux contrées !
Certains historiens affirment d’ailleurs que les “pupaccene” siciliennes auraient été inventées à l’époque où les Fatimides, une dynastie de califes née en Tunisie, régnaient sur cette île !
Il est vrai que le sucre (ainsi que le mot qui le désigne) a été introduit en Europe par les Arabes.
Un bel exemple des voyages et des métamorphoses des traditions autour de la Méditerranée.
En Tunisie, en tout cas, le sucre est surtout
présage de douceur pour l’année à venir… C’est pourquoi les Nabeuliens préparent aussi pour cette occasion un
couscous spécial garni de dattes et de sucreries !
Guillemette Mansour
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